Wednesday, December 18, 2013

Le personnel scolaire des collèges en situation précaire : une majorité réduite au silence

Pour cet article, j'ai le plaisir de donner la parole à un collaborateur occasionnel, un ou une professeur des collèges à temps partiel, qui apporte une perspective très importante.  Dans mes prochains articles sur les collèges de l'Ontario, je ferai appel à d'autres collaborateurs occasionnels au cours des mois à venir, afin de présenter plusieurs points de vue sur l'enseignement collégial d'aujourd'hui ...

 
Je suis professeur dans un collège de l'Ontario et j'enseigne dans le système collégial depuis plus de 20 ans. Je détiens un diplôme d'études supérieures et j'ai une bonne expérience professionnelle, mais je suis un travailleur précaire.

Depuis que je suis professeur de collège, je travaille à temps partiel avec un contrat à durée déterminée. J'appartiens à la catégorie des enseignants à charge partielle, ce qui veut dire que j'ai, néanmoins, la chance de faire partie du personnel scolaire syndiqué.  Mais, je n'ai pourtant pas droit à la protection la plus élémentaire : la sécurité d'emploi.

Qu'est-ce que ça veut dire? Mon contrat d'enseignement ne dure que le temps d'un trimestre scolaire. Ainsi, quand je commence à enseigner en septembre, je ne sais jamais si j'aurai encore un emploi en janvier. Quand j'enseigne pendant le trimestre de printemps, je ne sais jamais si j'aurai encore un emploi à la rentrée suivante.

Si je dépose une plainte à propos de mes conditions de travail, d'un harcèlement ou si mon patron, le doyen ou le doyen associé me prend en grippe, je cours le risque de ne pas obtenir un autre contrat de travail – sans aucune explication.

C'est la raison pour laquelle j'écris sous le couvert de l'anonymat. Je n'ai pas voix au chapitre dans mon milieu de travail.

Le plus étonnant est que je fais désormais partie du groupe majoritaire. Soixante-dix pour cent des membres du personnel scolaire de mon collège ont un emploi précaire à durée déterminée – un contrat de travail. Une situation que je partage non seulement avec le personnel scolaire, mais également avec le personnel de soutien des collèges, dont un grand nombre d'entre eux sont également des travailleurs précaires employés à temps partiel.

Le nombre d'étudiants inscrits dans nos collèges augmente sans cesse, 53 pour cent de plus au cours de la dernière décennie, alors que le nombre de membres du personnel scolaire à temps plein bénéficiant de la pleine sécurité d'emploi a diminué de 22 pour cent au cours de la même période. Les collèges recrutent des travailleurs précaires au lieu de créer de bons emplois stables. Pourquoi? Ils nous disent, que durant cette période d'austérité, ils manquent d'argent.

Mon collège a actuellement un excédent de plus de 225 millions de dollars, l'argent n'est donc pas un problème. Par contre, il est clair qu'il  n'y a pas la volonté politique de créer de bons emplois.

Les travailleurs des personnels scolaire et de soutien des collèges de l'Ontario entameront en même temps leur prochaine ronde de négociation avec leur employeur : le Conseil des employeurs des collèges. 

Au cours de la dernière ronde de négociation, mon syndicat a obtenu quelques petites améliorations sur la question de la sécurité d'emploi. Les membres du personnel scolaire à charge partielle ayant travaillé depuis plus de deux ans, qui ne sont pas réembauchés pour enseigner les cours qu'ils ont déjà enseignés par le passé, peuvent s'opposer à la décision par l'entremise d'une procédure de règlement des griefs. Certes un petit pas, mais un pas important.
 
Durant la prochaine ronde de négociation, les employés des personnels scolaire et de soutien des collèges devront être unis pour obtenir de meilleurs emplois et préserver la qualité de l’éducation.

Monday, December 16, 2013

Le Collège Cambrian : Retour vers le Nord!


Le jour de l'Halloween, j'ai repris la direction de Sudbury pour rendre visite au personnel scolaire du Collège Cambrian – l'autre collège de la ville.  Les professeurs, les conseillers et les bibliothécaires du Collège Cambrian sont représentés par la présidente Carolyn Gaunt et les délégués syndicaux de la section locale 655 du SEFPO. 

Carolyn Gaunt – l'illustre présidente de la section locale
 
Avec plus de 4 000 étudiants et étudiantes à temps plein, le Collège Cambrian est le plus grand collège du Nord de l'Ontario.  À l'origine, le Collège Cambrian avait des campus à Sudbury, à North Bay et à Sault Ste. Marie, mais dans les années 1970, les campus de North Bay et de Sault sont devenus des collèges de plein droit – le Collège Canadore et le Collège Sault.  En 1995, les programmes de langue française du Collège Cambrian ont été transférés au nouveau Collège Boréal.

Durant la réunion du CEL, les délégués syndicaux du Collège Cambrian ont discuté de toutes les pressions qui sont exercées sur le personnel scolaire au moment où les programmes sont passés au crible.  Comme dans la plupart des autres collèges, la baisse du nombre d'employés à temps plein constitue le plus important problème au Collège Cambrian.  La section locale 655 compte actuellement 182 membres à temps plein, environ 35 à charge partielle et plus de 200 à temps partiel.  Certes, le rapport entre le nombre d'employés à temps plein et à temps partiel est meilleur que dans de nombreux autres collèges, mais il y a de moins en moins d'employés à temps plein du fait qu'on ne remplace pas ceux et celles qui partent à la retraite.

Les conséquences des réductions budgétaires imposées par l'administration se font également sentir dans plusieurs autres domaines.  Les délégués syndicaux dans les programmes de métiers décrivent des classes où les étudiants travaillent à deux sur une machine conçue pour un seul étudiant.  En dehors de la question de santé et sécurité que soulève une telle situation, un délégué syndical a exprimé ses préoccupations quant à la qualité de l'apprentissage : « Les étudiants ne payent pas la moitié de leur éducation, alors pourquoi devraient-ils apprendre dans de telles conditions? »   Ils ont également souligné l'augmentation de l'effectif des classes et l'obligation de suivre des cours en ligne qui ont un impact négatif sur l'apprentissage.  Sans liberté académique, les professeurs, les conseillers et les bibliothécaires ont de plus en plus de mal à défendre les normes académiques.  Le membre du personnel scolaire qui ose se plaindre s'expose à des représailles sévères, y compris un licenciement. Les associations étudiantes des collèges ont tendance à ne pas se mêler de ces questions théoriques.  Au bout du compte, qui a vraiment le droit de défendre les étudiants?

À la fin de notre réunion, le personnel scolaire du Collège Cambrian s'est dit préoccupé par la direction dans laquelle est engagé l'enseignement collégial dans son ensemble.  Si on continue dans cette direction, ont-ils ajouté, on aura bientôt une grande partie du personnel scolaire qui travaillera à temps partiel, des classes qui seront en moyenne aussi surpeuplées que dans les universités, des cours qui seront majoritairement offerts en ligne et une armée d'administrateurs qui ne cessera de croître.  Pendant ce temps, les étudiants et les étudiantes continueront de payer des frais de scolarité encore plus élevés pour recevoir toujours moins en retour. 

Ce n'est qu'en prenant le contrôle de ces travaux académiques que le personnel scolaire pourra repousser le programme d'austérité de l'employeur et se focaliser sur la raison d'être de l'enseignement collégial – la relation entre les étudiants et le professeur dans la salle de classe.  Carolyn Gaunt a bien résumé les conséquences de ces changements pour nos étudiants, en posant une question toute simple : "Quand vous repensez à vos études au collège, vous souvenez-vous de vos professeurs préférés ou du vice-président aux finances du collège?"

En ce qui me concerne, je me souviens très bien ...

Tuesday, December 10, 2013

Transition au Collège Sheridan


À la fin du mois d'octobre, j'ai pris la direction du Collège Sheridan qui se trouve non loin de chez moi, à Hamilton.  Le Collège Sheridan, qui compte un peu plus de 17 000 étudiants à temps plein, est l'un des plus grands collèges communautaires de l'Ontario.  Le Collège est reconnu à l'échelle internationale pour l'excellence de ses programmes dans le domaine des médias et de l'animation – une réputation acquise grâce au travail acharné du personnel scolaire.  À l'occasion d'un déjeuner et d'une réunion du CEL, le président Jack Urowitz et les délégués syndicaux de la section locale 244, qui représentent le personnel scolaire du Collège Sheridan, m'ont parlé des problèmes auxquels ils sont confrontés pendant que leur collège se transforme en une université.

L'édifice Hazel McCallion du Collège Sheridan


























C'est le président du Collège, Jeff Zabutsky, qui a annoncé que le Collège Sheridan cherchait à obtenir le statut d'université en 2012. Il a mentionné comme raisons le fait que les étudiants demandent davantage de programmes menant à un diplôme et que les universités ne reconnaissent pas totalement les diplômes qui sont décernés actuellement par les collèges. Le gouvernement provincial a indiqué qu'il souhaite ouvrir trois autres universités en Ontario qui se consacreront essentiellement aux études de premier cycle. Le Collège Sheridan espère bien être du nombre.

La période de transition du Sheridan permet de mettre en exergue les préoccupations du personnel scolaire concernant la liberté académique et les normes d'éducation.  D'abord, le fait que les diplômes collégiaux du Sheridan n'aient pas la même valeur que les diplômes universitaires montre que le manque de liberté académique des professeurs des collèges a un impact direct sur la façon dont leur travail est perçu en dehors du système.  C'est rendre un mauvais service à l'éducation de classe mondiale que les professeurs du Collège Sheridan procurent déjà à leurs étudiants. Le personnel scolaire des collèges ne pourra pas obtenir la pleine reconnaissance de son travail tant qu'il ne bénéficiera pas du même niveau de liberté académique que les professeurs des universités.

Cette transition met également en exergue la division qui existe entre les connaissances théoriques et pratiques, mais aussi entre les titres de compétences universitaires et l'expérience en milieu de travail.  Les membres de la section locale 244 s'inquiètent que le modèle d'éducation collégial distinct qui intègre à la fois l'enseignement pratique et appliqué soit menacé par cette transition.  La crainte est qu'on marginalise les professeurs qui enseignent des programmes axés sur l'acquisition des compétences techniques ou ceux qui possèdent une vaste expérience de l'industrie par rapport à ceux qui ont une formation universitaire.  Le personnel scolaire fait valoir que la liberté académique – le droit des professeurs à enseigner librement selon leurs compétences et à critiquer l'institution – est aussi importante pour les professeurs qui enseignent des cours techniques que pour ceux qui enseignent des cours théoriques.

En fin de compte, la liberté académique touche à l'intégrité et à la qualité du processus éducatif. Notre société soutient son principe pour l'enseignement de sujets classiques comme la philosophie, les sciences sociales et les lettres et sciences humaines.  La liberté académique serait-elle moins importante pour les professeurs qui enseignent dans les programmes de techniques de maintenance d'aéronefs, des spécialistes des technologies de l'information ou de techniciens du génie électrique?  Les Canadiens sont-ils d'accord avec le fait que l'infirmière qui procure des soins à un parent malade ait suivi un programme d'études dont les normes académiques ont été élaborées par des professeurs attitrés à temps plein ou par des gestionnaires qui n'ont pas les qualifications requises et dont le mandat est d'offrir la formation la moins chère possible?

Selon son président, le Collège Sheridan accroît le nombre d'enseignants à temps plein, entérine la liberté académique, notamment en mettant en place un sénat, afin d'améliorer la qualité des diplômes décernés.  Les normes qui assurent la rigueur de l'enseignement universitaire sont louables et devraient également s'appliquer aux collèges de l'Ontario.


Thursday, December 5, 2013

La vie au Collège Lambton


Le Collège Lambton est situé dans ma ville natale de Sarnia et j'avais particulièrement hâte de visiter le collège et de rencontrer le personnel scolaire.  J'ai fait le voyage à la fin du mois d'octobre et j'ai passé une journée très enrichissante en compagnie de Baiba Butkus, présidente de la section locale, des dirigeantes et des membres de la section locale 125 du SEFPO.  

La présidente Baiba Butkus, à gauche, et 
les membres du CEL
 
Avec environ 2 700 étudiants à temps plein et 125 membres du personnel scolaire à temps plein, le Collège Lambton est l'un des plus petits collèges de l'Ontario.  À l'instar de la situation qui existe dans nombre d'autres établissements, le personnel scolaire à temps partiel est de plus en plus nombreux au Collège Lambton et le syndicat a dû soumettre des griefs pour préserver les niveaux de dotation du personnel à temps plein.

Les professeurs sont particulièrement préoccupés par la nouvelle manière de faire du Collège Lambton qui divise désormais l'enseignement théorique et pratique, qui était auparavant assuré par un seul et même professeur.  L'administration a adopté cette façon de faire pour des raisons évidentes de réduction des coûts, puisque les laboratoires, les studios ou les travaux pratiques sont confiés à des techniciens qui sont moins bien rémunérés.  Les professeurs, qui sont ensuite relégués à l'enseignement de cours théoriques, n'ont plus la possibilité d'évaluer le rendement global des étudiants.

Cette division de l'enseignement théorique et pratique touche le cœur même de la spécificité du système des collèges communautaires – une expérience d'apprentissage où la théorie et la pratique sont étroitement liées et qui permet aux étudiants d'apprendre directement auprès des experts du domaine d'études.  De plus en plus souvent, on demande aux professeurs d’évaluer des étudiants sans qu'ils puissent observer leurs aptitudes dans des situations concrètes.  Il n'est donc pas étonnant qu'ils remettent en question la pertinence des évaluations.

Le professeur de technologie  Khaled Nigim
 
D'autres changements sapent l'enseignement pratique et magistral au Collège Lambton, notamment le recours de plus en plus fréquent à l'enseignement de cours importants en ligne et l'augmentation de l'effectif des classes.  À l'image de tous les autres membres du personnel scolaire avec qui j'ai parlé, les professeurs du Collège Lambton m'ont fait part du nombre croissant de plaintes d’étudiants concernant l'apprentissage en ligne et de l'indifférence constante de l'administration à l'égard de leurs préoccupations.

En réalité, l'administration du Collège Lambton a adopté une vision de l'enseignement qui fait la part belle aux technologies et qu'on appellera ici l'« apprentissage mobile ».  L'idée étant de permettre aux étudiants d'utiliser fréquemment les appareils mobiles – téléphones intelligents et tablettes – dans tous les aspects de leur éducation.  On fait ainsi pression sur les professeurs afin qu'ils utilisent des iPads, sans se soucier de savoir si cette technologie est réellement utile pour le cours enseigné.  Bien sûr, avec l'«apprentissage mobile», le collège est tributaire d'entreprises avec qui il signe de lucratifs contrats pour le matériel informatique, les logiciels et les ressources numériques. 

Cette vision de l'«apprentissage mobile» du Collège entre dans le cadre du débat plus large sur l'utilisation des nouvelles technologies dans l'éducation d'aujourd'hui.  D'un côté, il y a ceux qui estiment que les nouvelles technologies constituent des outils extraordinaires pour améliorer l'apprentissage et la productivité et préparer les apprenants à intégrer le monde technologique d'aujourd'hui.  De l'autre, il y a ceux qui font entendre une voix discordante et qui pensent que les technologies ne sont pas forcément la panacée – que ces gadgets mobiles sont plus distrayants qu'utiles – et qu'on privilégie les bénéfices corporatifs au détriment de la pédagogie.

Comme je l'ai déjà écrit dans ce blogue, aucun professeur avec qui j'ai parlé n'était contre les technologies.  Zut, j'ai tapé ce carnet de blogue sur mon i-Pad et pris les photos avec mon téléphone intelligent.  Toutefois, je partage également l'opinion des professeurs qui s'inquiètent de l'intégration de chaque nouveau gadget technologique à l'éducation postsecondaire.  L'expérience des étudiants et du personnel scolaire révèle non seulement les limites, mais aussi les points forts de l'utilisation de la technologie dans l’enseignement.  Pour cette raison, il est crucial que ce soient les professeurs qui décident, en se fondant sur les recherches et l'expérience, de l’usage approprié et opportun de la technologie à la prestation d’un cours.

Tuesday, December 3, 2013

De passage au Collège St. Clair


Peu de temps après ma rencontre avec les membres de la section locale 350 du Collège Georgian, j'ai pris la direction de l'ouest pour me rendre à Windsor, en Ontario, afin de rencontrer le personnel scolaire du Collège St. Clair.  De taille moyenne, le Collège St. Clair compte quelque 8 600 étudiants à temps plein qui sont répartis sur trois campus : deux campus à Windsor et le troisième à Chatham.

Le personnel scolaire du Collège St. Clair est représenté par la section locale 138 du SEFPO.  J'ai rencontré Bernie Nawrocki, le président de la section locale, au campus de Windsor, puis participé à un repas de travail avec le Comité exécutif local plus tard dans la soirée.

Pendant la réunion, les dirigeants et délégués syndicaux de la section locale 138 m'ont parlé de l'accroissement de la charge de travail des professeurs. On ajoute de nouvelles tâches à leurs emplois du temps déjà très surchargés.  On demande fréquemment au personnel scolaire d'effectuer des tâches ayant trait à la révision des programmes, au recrutement, au marketing et aux travaux des comités – des tâches que le personnel doit accomplir bénévolement.  L'accumulation de ces tâches, qui s'ajoutent au travail quotidien des professeurs et aux nouvelles exigences de la gestion de l'apprentissage en ligne, soumet le personnel scolaire à toujours plus de stress.

Parce que le niveau de stress élevé contribue à aggraver les relations en milieu de travail, les dirigeants de la section locale 138 ont passé beaucoup de temps à s'occuper de la gestion des griefs concernant l'intimidation et le harcèlement.  Cette situation préoccupante, que j'ai déjà constatée dans plusieurs collèges et qui est le résultat de la décision du réseau collégial de délaisser l'éducation pour donner la priorité à la réduction des coûts, a désormais un impact significatif sur le personnel scolaire, les étudiants et le personnel de soutien.

Le personnel scolaire du Collège St. Clair, qui a souligné sa foi dans le caractère unique et l'importance du réseau collégial, a dit craindre que l'intégrité du système soit à présent menacée.  Alors qu'il y a de moins en moins de professeurs, de conseillers et de bibliothécaires à temps plein et que le personnel scolaire perd graduellement le contrôle des décisions académiques, nos membres se demandent, à juste titre, quel sera le résultat final...